L'éco-responsabilité devient un critère-clé dans l'IoT. Mais adapter cette démarche aux objets connectés n'est pas une mince affaire. Cela demande d'évaluer un grand nombre de critères tout au long du cycle de vie de l'objet comme du système connectés et de modifier les processus en interne. Quelques entreprises IoT pionnières mettent donc l'éco-responsabilité au cœur de leur stratégie en 2023 pour s'assurer de faire un premier pas dans la bonne direction. Explications (par Célia Garcia-Montero - Le JDN)
En 2023, l'objectif de nombreuses entreprises françaises est de transformer leurs objets connectés, bourrés d'électroniques, en produits éco-responsables. C'est le cas par exemple de l'opérateur IoT Kerlink, avec son plan stratégique "Serve IoT 2025", ou de la société Arcure qui a défini des objectifs environnementaux pour sa caméra Blaxtair Origin, ou encore de l'intralogisticien Jungheinrich, qui s'est vu décerner le certificat de développement durable le plus élevé par l'agence de notation EcoVadis.
" L'ABS, un polymère thermoplastique, est le plastique le plus utilisé dans l'IoT car très résistant "
"Il y avait peu d'initiatives jusqu'à présent car les volumes étaient trop faibles pour que cela soit pris en compte, analyse Henri Bong, CEO de l'opérateur et fournisseur de services IoT UnaBiz. A présent que les projets IoT passent à l'échelle, et que le contexte y est favorable, on ne peut plus concevoir l'IoT sans prendre en compte cet aspect."
Mais les premières entreprises qui ont franchi le pas le reconnaissent toutes : la démarche n'est pas évidente et il y a une longue liste d'éléments à considérer. Gillo Malpart, président et cofondateur de Mavana, entreprise française spécialisée dans les stratégies bas carbone par l'IoT, a référencé une vingtaine d'indicateurs environnementaux, qu'il préconise de prendre en compte tout au long du cycle de vie des objets : "Dans la grande majorité des cas, 80% de l'impact environnemental d'un objet connecté réside dans la phase préalable à son utilisation. L'éco-conception devrait donc démarrer par le questionnement sur la nécessité même de fabriquer cet objet connecté. Une fois la pertinence de l'objet avérée, il convient de réfléchir à l'impact des composants (minéraux, métaux et plastiques notamment), mais aussi à celui des usines de production et démantèlement (consommation d'eau et d'énergie primaire, ainsi que les pollutions générées). Sans oublier, bien sûr, les impacts (principalement carbone) du transport, de l'utilisation et de la maintenance de cet objet." Face à cette tendance qui n'en est qu'à ses balbutiements, chacun avance progressivement ses pions de son côté. Un moyen, en s'alliant par la suite, de couvrir toute la chaîne."
" C'est le modèle économique qui permet de mettre en place des stratégies d'éco-responsabilité "
Le choix des composants étant essentiel dans une démarche d'éco-conception, la start-up vauclusienne de l'agritech Brad commence ses réflexions en soutenant les recherches sur les nouvelles générations de plastiques. "Nous sommes en discussions sur l'utilisation de plastiques biosourcés", indique Olivier Lépine, son CEO. Le plastique peut se révéler en effet à lui-seul une source de questionnements. "L'ABS, un polymère thermoplastique, est le plastique le plus utilisé dans l'IoT car il est très résistant et dispose de bonnes propriétés mécanique. Mais son recyclage est complexe. Parfois, le recycleur ne sait pas quel plastique est utilisé dans le produit, ce qui ne leur permet pas de le refondre", explique Arnaud Huvelin, fondateur de la start-up Déclique.
Toujours lié aux composants, c'est le sujet de leur traçabilité en vue de les recycler qu'a pris à bras le corps Linxens, fabricant dans le domaine des composants électroniques pour les marchés de la sécurité et de l'identification. L'entreprise est en discussion avec ses partenaires pour parvenir à les tracer. "Les fils d'or sur la carte électronique et une partie du cuivre peuvent être recyclés mais quid des résines et du silicium, dont la fabrication requiert beaucoup d'eau", interroge Cyril Proye, IoT marketing director chez Linxens. De même, l'opérateur et fournisseur de services IoT UnaBiz travaille avec des experts du recyclage sur le circuit imprimé et la batterie.
La durabilité, un des piliers de l'éco-responsabilité
Dans sa stratégie d'entreprise, Ogga a de son côté fait de la durabilité son atout phare. "L'éco-responsabilité est dans notre ADN, nous nous interdisons le jetable et concevons nos produits pour dix ans", soutient Stéphane Gagnat, son président, qui considère les indices de réparabilité peu stricts et en a donc fait le cœur de sa stratégie. La société française spécialisée dans les solutions de smart building rend tous les produits ouvrables, démontables, réparables et évolutifs avec des ports d'extension pour privilégier la réparation. Et ses clients sont incités à retourner les produits arrivés en fin de vie plutôt que de les jeter. Ogga a par ailleurs fait le choix d'utiliser le protocole de communication EnOcean pour éviter les piles, l'alimentation représentant un point noir dans l'impact des IoT. Et pour limiter l'impact du transport, Ogga privilégie le made in France.
Les usages à impact positif sont pour beaucoup une première étape avant d'engager la recyclabilité des solutions. C'est le cas de l'opérateur IoT Kerlink, qui a déployé en 2022 des usages de mesures des conditions environnementales par IoT dans des logiques RSE, avant de présenter en décembre dernier sa stratégie d'éco-responsabilité. "Nous créons des réseaux autoalimentés avec des capteurs dont l'empreinte carbone est la plus faible possible", explique le PDG William Gouesbet. Kerlink va continuer de favoriser l'edge computing pour diminuer les transmissions de données dans le cloud, ainsi que la blockchain, à travers un partenariat avec Kalima dont les premières intégrations doivent s'effectuer ce mois de janvier. La prochaine étape sera la création d'une équipe spécialisée et d'une offre commerciale en 2023 dédiée au recyclage.
De son côté, la start-up Accopilot a suivi le même cheminement. Editeur de logiciel IoT pour le matériel des voiries, Accopilot a lancé son offre il y a trois ans pour apporter des informations sur la consommation des équipements et le bilan carbone des projets. Elle s'est alliée dès le début de son activité au recycleur Maneko pour anticiper le retour de ses produits quand ils auront atteint leur fin de vie. Autre exemple avec l'intralogisticien Jungheinrich, pour qui l'éco-responsabilité est le moteur de sa "croissance durable". "L'IoT permet d'optimiser l'utilisation de nos chariots, et de les récupérer", se réjouit Elena Perennes-Longchamp, responsable nationale ventes SAV chez Jungheinrich, qui se fixe pour objectif d'atteindre 94% de réutilisation depuis l'inauguration de sa nouvelle ligne de reconditionnement.
Le retour des objets connectés, "le nerf de la guerre"
Cette approche souligne le lien entre "rentabilité et éco-responsabilité", estime Arnaud Huvelin, fondateur de la start-up Déclique. "C'est le modèle économique qui permet de mettre en place des stratégies d'éco-responsabilité. Si l'utilisateur est propriétaire de son objet connecté (comme c'est le cas en BtoC), il aura tendance à le jeter en fin de vie pour ne pas subir les contraintes de la recyclabilité. Et son fournisseur privilégiera une durée de vie courte pour revendre de nouveaux produits rapidement. A l'inverse, si le fournisseur loue via un abonnement un objet connecté, il aura intérêt à sa durabilité et le recyclage sera de sa responsabilité."
Célia Garcia-Montero (JDN), animatrice du Comité de Travail 4 - Eco-responsabilité. Lui écrire : pg4@te-vbg.bet